Rencontre avec le réalisateur Guillaume Senez

28 novembre 2018

Trois années après la sortie du phénoménal Keeper, le réalisateur franco-belge revient avec un nouveau long métrage, « Nos Batailles ».  Bien que le cinéma d’auteur ait son public et qu’il ne soit pas boudé par le box-office, il n’hésite pas à s’exprimer sur le manque de financement et la double sentence d’un star-system belge qui n’existe pas côté francophone.

Comment vous fonctionnez dans l’écriture et le choix de vos interprètes ?

Je n’écris pas pour des comédiens précis. J’aime bien décider une fois que le processus d’écriture est achevé. Je travaille avec deux directeurs de casting, une en France et un en Belgique. Car en Belgique, même si on obtient tous les guichets de financement d’un film, il n’y a pas assez de budget pour travailler avec un confort de tournage qui permet de rémunérer correctement et légalement l’ensemble des personnes qui travaillent sur un projet. On est donc obligé de coproduire.

Où avez-vous trouvé des financements ?

En tant que franco-belge, je me suis logiquement tourné vers la France pour « Nos batailles ». Et cela pose un problème si on a l’ambition d’avoir un casting 100% belge.  Sur ce dernier long métrage, il était prévu de tourner en région bruxelloise. Donc, j’avais une vingtaine de comédiens belges en tête, mais faute de soutien de la région, l’entièreté du tournage a eu lieu en France. Les comédiens belges que j’avais repéré ont donc sauté. Ça c’est la réalité d’aujourd’hui. Les réalisateurs belges qui marquent leur volonté de travailler avec des comédiens belges ne sont pas toujours soutenus par les instances politiques. En tant que réalisateur, on va donc tourner là où on trouve un soutien financier.

C’est dommage car il y a des vrais talents en Belgique. D’ailleurs, je prépare un court-métrage dans le cadre d’une collection de 5 courts dont l’objectif est essentiellement de faire émerger de jeunes comédiens Belges. Les réalisateurs sont déjà identifiés : Géraldine Doignon, Ann Sirot & Raphaël Balboni, Pablo Munoz Gomez, Laura Petrone & Guillaume Kerbusch, et moi-même.

« Belgian is the new cool » vous n’y croyez pas du coup ?

Si, j’y crois bien sûre ! Mais c’est une réalité dans le monde entier SAUF en Belgique. Il n’existe pas de Star-system en Belgique francophone : un comédien francophone belge doit être adoubés par la France pour être reconnu en Belgique. Il y a une espèce d’anti-fierté belge, qui est tout à notre honneur, mais qui nous freine au niveau culturel en général, pas qu’au niveau du cinéma. Cette humilité finalement, elle diminue beaucoup notre visibilité. Beaucoup de comédiens belges connus et reconnus par la profession ne sont pas connus par le grand public. C’est pour ça que la profession a voulu mettre en place des séries soutenues par notre chaîne publique comme La Trêve ou Ennemi public. C’est aussi pour cela qu’on a créé les Magritte. Il s’agit clairement d’une auto-proclamation qui peut sembler dérangeante, alors que ça existe dans TOUS les autres pays. Et le seul pays au monde où les médias crachent dessus, c’est la Belgique. Il y a très peu de bienveillance de la part de nos médias envers ce que nous faisons.

Depuis la sortie de Keeper en 2016, est ce que ça a été plus facile pour vous de trouver des financements pour vos projets ?

Non, pas vraiment. Faire un film d’auteur, par définition, reste et restera toujours compliqué à financer.  Pour tout le monde.

Selon vous, les interprètes avec lesquels vous travaillez sont-ils assez informés sur leurs droits ?

Je pense qu’il y a pas mal de comédiens qui n’ont pas conscience de ce que sont réellement les droits voisins. D’une manière générale, j’ai l’impression que la formation dans les écoles en Belgique n’est pas suffisante. Le théâtre est au centre de la formation de ces futurs jeunes comédiens, et ils ne sont pas assez préparés aux métiers de l’audiovisuel. Je donne souvent des ateliers avec une amie comédienne, Catherine Salée, pour les étudiants et jeunes professionnels qui sortent des écoles. C’est très souvent un public qui n’a presque pas eu l’occasion de tourner face à une caméra. Les étudiants ont trop rarement des cours de jeu face-caméra, des cours de doublage, des cours portant sur les aspects administratifs de leur futur métier, sur ce que c’est d’être au chômage, sur le statut d’artiste, les droits voisins… Ces jeunes comédiens, trop souvent, ne savent pas ce que leurs images véhiculent, le rendu de leur image, et ils appréhendent la caméra. En gros, il y a très peu de préparation à ce que va être leur métier d’acteur dans la réalité.

A qui s’adresse les ateliers dont vous parlez ?

Ce sont des ateliers organisés par Brussels Cine Studio, menés par Guillaume Kerbusch,  ce sont principalement des jeunes comédiens tout juste diplômés qui manquent d’images et ne savent pas comment être devant une caméra. On a aussi pas mal de comédiens qui ont essentiellement fait du théâtre et se sentent parfois désarmés sur un tournage. L’idée ici c’est vraiment d’apprivoiser la caméra, d’avoir quelques clés. En printemps 2019, on va innover en organisant un atelier avec 5 réalisateurs et 10 comédiens. Avec Catherine Salée, on s’est rendu compte pendant ces stages qu’il y avait une demande importante de la part des jeunes réalisateurs, qui voulaient eux aussi assister au stage, filmer, etc. On va donc proposer une approche tripartite, où deux comédiens travaillent une journée avec un réalisateur, et tous les jours les trios changent. L’idée ici c’est aussi de créer un moment de rencontre pendant lequel on tourne, on expérimente, on cherche… Et les réalisateurs apprennent à travailler avec des comédiens, parce qu’ils ne savent pas toujours comment les diriger, leur parler, ils ont souvent peur. Et c’est la même chose pour les comédiens. Donc au-delà de l’expérimentation du jeu face caméra, il y a aussi tout un travail autour de rencontres.

Dans une interview donnée au quotidien Le soir, vous expliquez que vous aviez dû abandonner votre statut d’artiste pour un statut d’indépendant. Pourquoi cela ?

Cela fait quelques années que notre gouvernement a entamé une vraie chasse aux sorcières des chômeurs, et par répercussion, du statut d’artiste. Depuis 2014, un arrêté royal portant sur le cumul des droits d’auteur et du statut d’artiste nous pose beaucoup de problèmes. En ce moment, beaucoup de réalisateurs sont dans l’obligation de passer indépendant, car l’ONEM leur demande de rembourser leur statut d’artiste à partir du moment où ils ont perçu trop de droits d’auteur. Mais il y a un énorme fossé entre ce qu’un réalisateur qui cumule droits d’auteur/statut d’artiste et ce qu’il faut toucher en tant qu’indépendant sur une année. Pour être indépendant, il faut un minimum annuel pour sortir la tête de l’eau, mais entre ce minimum et la limite imposée avec ce cumul, il y a un no man’s land où se situent la grande majorité des réalisateurs et artistes belges d’aujourd’hui.

A l’heure actuelle, on est tous, ou quasi tous, dans l’obligation de passer indépendant. Et à un moment donné, tous ces réalisateurs vont être dans le besoin de faire des films pour ne pas tomber en faillite. C’est en totale contradiction avec l’idée même d’être un artiste, qui est de créer parce qu’on a un besoin et une envie de créer. Là on se met dans une position où l’on va devoir faire des films pour des mauvaises raisons, pour garder la tête hors de l’eau. Ça veut dire que l’on va devoir faire des long-métrages tous les deux/ trois par ans. Mais qui va financer tous ces films ? Le Centre du Cinéma de la Fédération Wallonie-Bruxelles est déjà engorgé de projets.  Sans parler du danger de faire des films de plus en plus consensuels et conventionnels pour entrer dans des critères commerciaux. C’est comme cela qu’on tue la création et le cinéma d’auteur.

A votre niveau, qu’est-ce-que vous faites pour essayer de lutter contre cela ?

Je suis administrateur au sein de l’ARRF (Association des Réalisateurs et Réalisatrices Francophones de Belgique), nous sommes entre autres en train de sensibiliser les instances politiques et le plus grand nombre pour tenter de faire bouger les choses. Être artiste aujourd’hui, c’est une bataille à mener au quotidien. Alors je mène mes batailles.

Quel(s) conseil(s) vous donneriez à cette jeune génération d’interprètes ?

De s’accrocher, comme les réalisateurs. Il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus. Ce n’est pas toujours le talent qui compte mais la détermination, ce qui est assez terrible à dire. Ceux qui arrivent à émerger, c’est celles et ceux qui en veulent le plus, qui se prennent des claques et continuent d’avancer malgré l’adversité. Donc il faut continuer à y croire et aussi se donner les moyens. C’est un métier où on dépend du désir d’autrui, et en fait ce désir-là, il faut essayer de se l’autocréer. Si vous êtes comédien et qu’on ne vous appelle pas, et bien il faut FAIRE quelque chose : créer sa propre compagnie, monter un spectacle, etc. Si on ne vous a pas pris sur un film, et bien vous écrivez votre film, et vous créez votre propre rôle. On ne vous engage pas au théâtre, et bien vous montez votre propre pièce. Je comprends bien que ce n’est pas dans la personnalité de tout le monde, mais c’est que conseil que je donnerais. Le travail amène le travail, il faut continuer à y croire, être déterminé, volontaire, et créer son propre désir.

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